La voiture continuait de filer droit sous le soleil de plomb. L’air humide s’immisçait par les fenêtres et venait gonfler leurs chemises d’été. Bientôt la route s'ouvrit sur le bord de mer, traçant de longues courbes qui caressaient l’eau turquoise et scintillante.
À la vue de ce panorama, il dut reconnaître que l'invitation de Maximilien à séjourner chez lui, malgré le mauvais pressentiment qu’il en avait, serait pour lui l'occasion de passer de véritables vacances.
Après tout, depuis combien de temps avait-il eu ce sentiment tenace que sa vie était devenue fade, sans saveur ni odeur ? Depuis quand ses journées s'étaient-elles ternies ainsi, comme couvertes d'une pellicule grise, au point qu'il s'était mis, consciemment ou non, à chercher dans son quotidien toutes sortes de détails – une atmosphère particulière lors du trajet matinal, un rayon de lumière s’infiltrant dans son appartement, une sensation diffuse en sortant le soir – qui viendraient donner à son existence une forme d'intensité, d’épaisseur, de poésie ?
Sans doute était-ce pour cette raison qu'il avait accepté, en fin de compte, lorsqu’il avait reçu l'appel de Maximilien, un certain dimanche, lui proposant ce séjour en souvenir du bon vieux temps. Il s’était remémoré ce temps qui, lui, avait eu une saveur et une odeur : celles des vieilles salles de classe où l'on s'assoupit paisiblement dans la poussière ; celles des soirées en famille baignées de lueurs orangées ; celles des vacances de Noël à l’insouciance sucrée.
Il poussa un soupir en glissant son bras par la fenêtre du véhicule, comme pour plonger ses doigts dans l’étendue azur. Son camarade continuait de faire la conversation, mais Verdier ne l'écoutait plus qu'à moitié, acquiesçant mollement.
Ils quittèrent la grande route pour s’engouffrer le long d'un chemin de gravier. Un imposant portail, orné d'arabesques en fer forgé, trônait au centre du passage. Maximilien tira du vide-poches un trousseau de clés, puis se dirigea vers la serrure. Les deux battants s’ouvrirent alors dans un bourdonnement sourd ; le son frémit dans l'air comme si l’on avait frappé la touche d'un orgue.
Derrière, deux rangées de cyprès taillés en cône apparurent. Ils bordaient la voie vers ce qu’on distinguait être au loin une maison, ou plutôt une villa.
Verdier ne sut contenir un élan de gêne tandis que son hôte pénétra de nouveau dans l’automobile. Il glissa ses lunettes noires entre ses mèches ; un sourire fier se dessinait sur son visage. Il les conduisit jusqu’à la demeure et se gara négligemment devant une véranda.
Avant même qu’ils n'eussent le temps de sortir, l'imposante porte d’entrée s'entrouvrit et une femme, vêtue d'une robe fleurie et pastel, se présenta sur le perron. Les deux hommes se glissèrent hors de la voiture en refermant dans un claquement les lourdes portières.
— Bonjour ! lança-t-elle depuis son poste en hauteur.
— Bonjour, répondit Verdier tout en se rapprochant de celle-ci. Vous devez être Éléonore, je présume.
— C'est bien moi ! Je suis ravie de pouvoir enfin vous rencontrer !
— Et moi de même. Comme je disais à votre mari, c'est très gentil à vous de me recevoir ainsi.
— Mais je vous en prie, cela nous fait tout autant plaisir ! Vous n’imaginez pas à quel point Maximilien s’impatientait de votre venue !
— Je vois que vous avez déjà commencé les présentations, constata ce dernier, qui tenait d'une main la valise de son camarade.
Verdier resta quelques instants à examiner Éléonore. L’épouse se tenait face à lui, fluette et droite comme un i, cheveux impeccables, quelque peu anxieuse, tripatouillant le pendentif à son cou. À dire vrai, il s'était beaucoup demandé quelle femme avait pu vouloir s'unir à celui dont il ne connaissait que trop bien les manières.
— Entre donc ! commanda Maximilien en les devançant.
— Merci bien.
Il le suivit à l’intérieur, tout en redoutant le moment.